Situación lírica del cuerpo natural (1956)


BERNARD NOËL

Traducción: SU XIAOXIAO








Sobrevivo a fuerza de raíces. La carne habría fluido ya como una tierra grasa, pero los nervios la sujetan. Los nervios vegetativos. Los otros están gastados. Qué floración blanca alrededor de los huesos, con espesas matas flexibles que se anudan, mientras que palidecen las algas que largas mareas vienen a aplastar contra las últimas vértebras. El agua es pesada y amarga. Mi sed desciende a toda prisa por el canal de la médula, envolviendo todo lo imbebible que endurece mi garganta. El silencio planea entre los hombros y el mar, es el preludio a una nueva aspiración de las profundidades. El ojo busca nuevos dominios en la región del corazón, pero todo vegeta. Las órbitas se han blanqueado. Ya no hay párpados ni lágrimas. La sangre se ha retirado. Los pulmones no son más que terrones de burbujas. ¿Por qué pensar? Si el cerebro llegara a encenderse, habría de nuevo sofoco, después vértigo y después succión interna. Toda esta calma es una trampa. Lo sé. No avanzo nada con saberlo. El esqueleto es lejano detrás de ese saber deformante. El ojo acaba girando sobre sí mismo. La lengua lame la poca noche que queda entre los dientes, y la boca permanece abierta, ávida. Todos los gestos imaginables están a lo lejos, en el vaho de la superficie. Intento otra espera, pero, ahora, morir no tiene fin. Ni vivir. Todo lo que he conocido está haciendo la piel. Mi cuerpo va a volverse estrecho. Flaqueo por algún lugar. Me vuelvo azul en las membranas de las vísceras. Trepo al árbol de las vértebras. En mi cráneo demasiado seco, las percepciones levantan polvo. Se hacen desaparecer una a otra, a toda velocidad. Estoy lleno de ovillos de agujas. Habría que volver a contar las junturas, rehacer el esqueleto. Es demasiado tarde. Asisto a la erosión, despreocupado además de que todo en mí se vuelva arena en las mareas del vientre. ¿Y este mar sin origen? Qué importa. Pasar tampoco tiene fin. Minuto pasado, minuto pasado, gota a gota. ¿Es cierto que la lluvia no añade ni quita nada al mar? Sí y no. Siempre, sí y no. Los ojos giran. Dentro iguala a fuera. Y dentro dentro, hay fuera. ¿Tenía yo ocho años o mil años, ayer? Quizá lo uno y lo otro. Demasiados círculos en el interior de los huesos, demasiadas cifras sobre mi árbol. Ato mis falanges como madera seca esperando esa piel nueva que me envejecerá de mil años más cuando tenga ocho años. ¿Y después? Y después este mar lleno de sal, lleno de gestos, lleno de ecos, y después palpitante sin cesar al borde del cráter movedizo. No puedo llevar el registro de las células. No puedo. ¿Pero los rostros? ¿Cuántos rostros? ¿Cuántos disueltos en el mar o bien grabados en las capas del hueso? No hay más que mirar el horizonte, con la cadena de dientes, con la lengua sobre la cual se agita el viento. Pero ya las algas se convierten en raíces, las raíces se convierten en árboles, las hojas caen a través de mis ojos y, más tarde, vuelven a brotar en mi cuerpo. Los rostros se acumulan. Mañana es ayer, inexorablemente. Mi esqueleto se blanquea, pero la reja de las costillas, hundiéndose en la arena, llama a otro cuerpo.







SITUATION LYRIQUE DU CORPS NATUREL (1956)

Je survis à force de racines. La chair aurait déjà coulé comme une terre grasse, mais les nerfs la retiennent. Les nerfs végétatifs. Les autres sont usés. Quelle floraison blanche autour des os, avec d’épaisses touffes flexibles qui se nouent, tandis que pâlissent les algues que de longues marées viennent plaquer contre les dernières vertèbres. L’eau est lourde et amère. Ma soif dévale le canal de la moelle, roulant tout l’imbuvable qui racornit ma gorge. Le silence plane entre les épaules et la mer, c’est le prélude à une nouvelle aspiration des profondeurs. L’œil cherche de nouveau domaines dans la région du cœur, mais tout végète. Les orbites ont blanchi. Il n’y a plus ni paupières ni larmes. Le sang s’est retiré. Les poumons ne sont que des mottes de bulles. Pourquoi penser ? Si le cerveau venait à s’allumer, il y aurait encore de la suffocation, puis du vertige et puis de la succion interne. Tout ce calme est un piège. Je le sais. Il ne m’avance à rien de le savoir. Le squelette est lointain derrière ce savoir déformant. L’œil en arrive à tourner sur lui-même. La langue lèche le peu de nuit qui reste entre les dents, et la bouche demeure ouverte, avide. Tous les gestes imaginables sont au loin, dans la buée de la surface. Je tente une autre attente, mais, maintenant, mourir n’a pas de fin. Ni vivre. Tout ce que j’ai connu est en train de faire la peau. Mon corps va devenir étroit. Je fléchis quelque part. Je deviens bleu sur les membranes des viscères. Je grimpe à l’arbre des vertèbres. Dans mon crâne trop sec, des perceptions poudroient. Elles s’anéantissent l’une l’autre, à toute vitesse. Je suis plein de pelotes d’aiguilles. Il faudrait recompter les jointures, refaire le squelette. Il est trop tard. J’assiste à l’érosion, insoucieux d’ailleurs que tout en moi devienne sable dans les marées du ventre. Et cette mer sans origine ? Qu’importe. Passer non plus n’a pas de fin. Minute passée, minute passée, goutte à goutte. Est-il vrai que la pluie n’ajoute ni n’enlève rien à la mer ? Oui et non. Toujours, oui et non. Les yeux tournent. Dedans égale dehors. Et dedans dedans, il y a dehors. Avais-je huit ans ou mille ans, hier ? Peut-être l’un et l’autre. Trop de cercles à l’intérieur des os, trop de chiffres sur mon arbre. Je ligote mes phalanges comme du bois sec en attendant cette peau neuve qui me vieillira d’encore mille ans quand j’aurai huit ans. Et puis ? Et puis cette mer pleine de sel, pleine de gestes, pleine d’échos, et puis battante sans cesse au bord du cratère mouvant. Je ne peux pas tenir le registre des cellules. Je ne peux pas. Mais les visages ? Combien de visages ? Combien dissous dans la mer ou bien gravés dans les couches de l’os ? Il n’y a qu’à regarder l’horizon, avec la chaîne des dents, avec la langue sur laquelle clapote le temps. Mais déjà les algues deviennent racines, les racines deviennent arbres, les feuilles tombent à travers mes yeux et, plus tard, repoussent dans mon corps. Les visages s’accumulent. Demain est hier, inexorablement. Mon squelette blanchit, mais la grille des côtes, en coulant dans le sable, appelle un autre corps.




Extraits du corps (Gallimard, 2016)