Es imposible que yo tenga una voz

SAMUEL BECKETT

Traducción: SU XIAOXIAO








Renuncié antes de nacer, no es posible de otro modo, era necesario sin embargo que naciera aquello, fue él, yo estaba dentro, así es como veo la cosa, el que gritó es él, el que vio la luz es él, yo no grité, yo no vi la luz, es imposible que yo tenga una voz, es imposible que yo tenga pensamientos, y  hablo y pienso, hago lo imposible, no es posible de otro modo, el que ha vivido es él, yo no he vivido, él ha vivido mal, por mi culpa, él va a matarse, por mi culpa, voy a contarlo, voy a contar su muerte, el final de su vida y su muerte, sobre la marcha, en el presente, su muerte sola no sería bastante, no me bastaría, si se queja el que se quejará es él, yo no me quejaré, el que morirá es él, yo no moriré, lo enterrarán quizá, si lo encuentran, yo estaré dentro, se pudrirá, yo no me pudriré, no quedarán más que los huesos, yo estaré dentro, no será más que polvo, yo estaré dentro, no es posible de otro modo, así es como veo la cosa, el final de su vida y su muerte, cómo va a hacer para terminar, es imposible que yo lo sepa, lo sabré, sobre la marcha, es imposible que yo lo diga, lo diré, en presente,  ya no se tratará de mí, solamente de él, del final de su vida y de su muerte, no voy a hablar de gusanos, de huesos y de polvo, eso no le interesa a nadie, a menos que me esté aburriendo en su polvo, lo que me sorprendería, tanto como en su piel, aquí un largo silencio, se ahogará tal vez, no quería que lo encontraran, ya no puede querer nada más, pero en otro tiempo quería ahogarse, no quería que lo encontraran, un agua profunda y una rueda de molino al cuello, impulso apagado como los demás, pero por qué un día a la izquierda, por qué, en vez de en otra dirección, aquí un largo silencio, no habrá más yo, no dirá nunca más yo, no dirá nada nunca más, no le hablará a nadie, no hablará solo, no pensará, irá, yo estaré dentro, se dejará caer para dormir, en cualquier lado, dormirá mal, por mi culpa, se levantará para ir más lejos, le irá mal, por mi culpa, no podrá quedarse quieto, por mi culpa, ya no hay nada más en su cabeza, yo meteré lo necesario.







J’ai renoncé avant de naître, ce n’est pas possible autrement, il fallait cependant que ça naisse, ce fut lui, j’étais dedans, c’est comme ça que je vois la chose, c’est lui qui a crié, c’est lui qui a vu le jour, moi je n’ai pas crié, je n’ai pas vu le jour, il est impossible que j’aie une voix, il est impossible que j’aie des pensées, et je parle et pense, je fais l’impossible, ce n’est pas possible autrement, c’est lui qui a vécu, moi, je n’ai pas vécu, il a mal vécu, à cause de moi, il va se tuer, à cause de moi, je vais raconter ça, je vais raconter sa mort, la fin de sa vie et sa mort, au fur et à mesure, au présent, sa mort seule ne serait pas assez, elle ne me suffirait pas, s’il râle, c’est lui qui râlera, moi je ne râlerai pas, c’est lui qui mourra, moi je ne mourrai pas, on l’enterrera peut-être, si on le trouve, je serai dedans, il pourrira, moi je ne pourrirai pas, il n’en restera plus que des os, je serai dedans, il ne sera plus que poussière, je serai dedans, ce n’est pas possible autrement, c’est comme ça que je vois la chose, la fin de sa vie et sa mort, comment il va faire pour finir, il est impossible que je le sache, je le saurai, au fur et à mesure, il est impossible que je le dise, je le dirai, au présent, il ne sera plus question de moi, seulement de lui, de la fin de sa vie et de sa mort, de l’enterrement si on le trouve, ça finira là, je ne vais pas parler de vers, d’os et de poussière, ça n’intéresse personne, à moins de m’ennuyer dans sa poussière, ça m’étonnerait, autant que dans sa peau, ici un long silence, il se noiera peut-être, il voulait se noyer, il ne voulait pas qu’on le trouve, une eau profonde et une meule au cou, élan éteint comme les autres, mais pourquoi un jour à gauche plutôt que dans une autre direction, ici un long silence, il n’y aura plus de je, il ne dira plus jamais je, il ne dira plus jamais rien, il ne parlera à personne, personne ne lui parlera, il ne parlera pas tout seul, il ne pensera pas, il ira, je serai dedans, il se laissera tomber pour dormir, pas n’importe où, il dormira mal, à cause de moi, il se lèvera pour aller plus loin, il ira mal, à cause de moi, il ne pourra plus rester en place, à cause de moi, il n’y a plus rien dans sa tête, j’y mettrai le nécessaire.




(Pour finir encore et autres foirades, éditions de Minuit, 1976, 1991)